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Chapitre 3 : Pensées nocturnes

     Oscar commença à fixer le feu, laissant ses pensées vagabonder, puis son regard parcourut la pièce et se posa sur son ami d'enfance. Il lui tournait le dos, torse nu. Les flammes dessinaient des arabesques sur ses omoplates. Cette lumière feutrée laissait apparaître nettement les contours de son corps. Oscar ne l'avait plus vu ainsi depuis qu'ils avaient grandi.

     Elle s'amusa à suivre des yeux le contour de ses bras puissants, de son flanc. Elle ne se souvenait pas qu'il avait les épaules si larges. Elle continua son inspection en s'attardant sur les hanches, les cuisses moulées par le pantalon trempé et revint plusieurs fois avec insistance sur les fesses. Elle esquissa un sourire gourmand en observant que son ami était bien proportionné. Brusquement, elle se sentit gênée de contempler ce corps masculin au repos, elle se sentait coupable d'éprouver de l'attirance pour un corps d'homme et de l'observer en secret.

     Mais, la vue d'André l'emplit de nouveaux sentiments. Ses pensées se tournèrent vers un autre homme et devant ces yeux, ce fut Fersen qui se trouvait allongé en face d'elle. Elle tenta de reprendre ses esprits mais maintenant elle apercevait même son visage qui lui souriait. Ses lèvres s'ouvraient et se fermaient, elles tentaient de lui parler, mais Oscar n'arrivait pas à comprendre ces paroles. Elle se concentra davantage et ce qu'elle y lut lui fit monter les larmes aux yeux : "Oh ! , ma reine, pardonnez mon départ précipité…." Elle ne savait plus si elle était encore éveillée.

     André avait fini par se tourner vers son amie ; il vit qu'elle était déjà assoupie. Le sommeil d'Oscar était agité, des sourires succédaient aux grimaces et elle marmonnait des suites de sons inaudibles à la distance à laquelle il se trouvait.

     Il décida alors de se rapprocher afin de mieux saisir ce qu'elle disait. Il se leva silencieusement, contourna le feu qui crépitait encore, et vint se placer à côté d'elle. Il se pencha délicatement au-dessus de son visage. La tentation était très forte et malgré lui, sa main se dirigea vers Oscar. Lentement, il frôla une mèche de ses cheveux, puis sa main glissa sur sa joue et se dirigea sur ses lèvres. Il suivit alors leur contour, ressentant toute la douceur de ce contact volé. C'est alors qu'Oscar se remit à parler.

     "Fersen … oh ! , Fersen … pourquoi … la reine …. ce départ … non … c'est impossible … je … crois … que … je … vous …"

     Ce fut tout ce qu'André put supporter… A ces mots son cœur se glaça, le vacarme des gouttes de pluies sur leur abri de fortune résonnait dans sa tête et au milieu de tout ce bruit, le murmure d'Oscar lui revenait sans cesse "Fersen… Fersen…"

     Il se leva brusquement, le visage en feu et sortit précipitamment sous l'averse. Il courut à en perdre haleine, les branchages lui fouettant le visage et le corps, évitant tant bien que mal les obstacles qui se dressaient devant lui. Il regagna la clairière où ils se battaient plus tôt. Il resta un court instant immobile, face à un arbre, puis, le cri sortit, puissant et désespéré. Il déversa à travers lui toutes les frustrations qu'il avait accumulées depuis qu'elle connaissait Fersen.

     Le visage baissé, il laissa alors ses larmes se mêler à la pluie et inonder son visage. Il serra les poings et tout son corps fut parcourut de tremblements. Il cria à nouveau en frappant l'écorce de toutes ses forces. Il posa ensuite les deux mains, tendues, contre le tronc et baissa son visage en reprenant son souffle. Puis il se laissa glisser le long du tronc et resta assis sur ses genoux, les yeux fixés sur le sol. La main blessée commença à saigner mais la pluie lavait rapidement la plaie et imprégnait ses habits.

     André finit par ne plus sentir la douleur lancinante qui venait sa main ni la brûlure émanant de sa gorge. Même la pluie et le froid le laissaient indifférent. Il se tenait immobile, le regard éteint, submergé par les images que lui envoyait son cerveau. Ainsi il avait vu juste, Oscar éprouvait bel et bien des sentiments pour le suédois. Deux pensées contradictoires se bousculaient : il était ravi de voir que son côté féminin commençait à resurgir mais malheureusement Oscar concentrait toute son attention pour un autre. Et qui plus est, ils savaient tous les deux que le gentilhomme se consumait pour la reine.

     André sentit l'injustice de la réalité s'abattre sur ses épaules. "Il ne pouvait en être autrement, pensa-t-il, Oscar est une noble, si un jour elle souhaite vivre comme une femme, elle épousera une personne de sa condition. Que suis-je pour elle ? Son serviteur dévoué, son compagnon d'arme, son ami… en tout cas, je ne serais jamais rien de plus. Elle ne me considère pas comme un homme… et pourtant, elle est tout pour moi… Si elle aime Fersen, alors je dois vivre avec cette vérité et taire tout ce que je ressens. Je resterai à ses côtés et je le tuerai si jamais il la fait souffrir… Avec un peu de chance, il ne reviendra jamais en France… impossible, il y a la reine ! Oscar, c'est injuste, c'est stupide… pourquoi LUI !! Il ne t'aime pas, il ne t'aimera jamais… Ouvre les yeux, pourquoi faut-il que tu t'égares dans tes sentiments alors que tu agis toujours avec discernement. Pour une fois que tu laisses parler ton côté féminin… Pourquoi as-tu été élevée en garçon ! Non, finalement, heureusement que tu l'as été, sinon jamais je ne t'aurai connue, jamais nous n'aurons croiser le fer, nous n'aurions jamais eu cette complicité, je n'aurai peut être jamais autant souffert… Tant pis pour ma souffrance, Oscar, je respecterai toujours tes choix, mais oublie cet imbécile de Fersen…

     Et ce monologue s'éternisa, en s'étoffant, se contredisant mais il ne résolvait pas le dilemme d'André. Il était toujours à terre quand la pluie cessa… Il finit par relever sa tête et vit la lune sortir péniblement des nuages. Il sourit faiblement en voyant le visage d'Oscar se superposer sur l'astre brillant et s'écroula.

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